Dans la tradition des rassemblements populaires du mouvement ouvrier, la conférence des comités de défense de l’Humanité du 7 septembre 1930 s’impose comme l’acte fondateur de la Fête organisée par notre journal.
Dans les jours précédant le 7 septembre 1930, l’Humanité ne s’est pas encore arrêtée sur le nom à apposer à l’événement qui s’est déroulé à Bezons (Val-d’Oise) : « Journée de l’Huma », peut-on lire dans l’édition du 7 septembre, « grande fête prolétarienne à Bezons » dans le journal de la veille, ou encore « conférence des comités de défense », le vendredi 5. Car ce dimanche, jour de repos pour la classe ouvrière, les délégués des comités de défense de l’Humanité (CDH) se sont rassemblés, dans l’hôtel de ville de la municipalité communiste, afin de se doter d’une organisation dirigée par une commission exécutive.
À proximité, dans des jardins rebaptisés parc Sacco-et-Vanzetti, du nom des deux militants anarchistes exécutés par la justice américaine en 1927, « le Secours rouge international, l’Union des syndicats de la région parisienne (CGTU), la Fédération des locataires, l’Amicale des conscrits, les amis de l’URSS y dressent de rudimentaires stands où l’on peut acheter des bonbons, des brochures et des statuettes de Lénine », écrivent Noëlle Gérôme et Danielle Tartakowsky dans leur ouvrage la Fête de l’Humanité, culture communiste, culture populaire (1988, Éditions sociales).
Fidèle à la tradition ouvrière, le Parti communiste – le PC adoptera le nom de Parti communiste français en 1943, à l’occasion de la lutte armée contre l’occupant nazi – a fait sienne l’organisation de fêtes champêtres et populaires après son adhésion à l’Internationale communiste, au congrès de Tours, en 1920. Dès 1922, son organe central, l’Humanité, a tenu à Garches une fête au bénéfice des « camarades russes, victimes innocentes de la sécheresse et du blocus ». « Les fêtes communistes sont pour ce parti l’occasion rare et recherchée de grands rassemblements licites, réunissant des dizaines et milliers de participants quand le commun des fêtes champêtres se limite à quelques centaines », soulignent les historiennes.
1929, le PC et l’Humanité ciblés par une répression d’État
Le tournant advient en 1929. Dans son édition du 12 juin, l’Humanité appelle à une « journée rouge », le 1er août, pour les 15 ans du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Immédiatement, le pouvoir s’attelle à la contre-offensive. Le lendemain, le 13 juin, à la Chambre, le ministre de l’Intérieur André Tardieu accuse les communistes de comploter contre la sûreté de l’État. Le préfet de police Jean Chiappe établit un plan de défense mettant Paris en état de siège le 1er août. Les principaux dirigeants du PC sont arrêtés et emprisonnés.
Mais le président du Conseil Raymond Poincaré cherche à atteindre un point décisif de l’organisation communiste : son journal. « L’Humanité tirait à 183 000 exemplaires, quand le parti ne compte plus que 38 000 adhérents », relatent Noëlle Gérôme et Danielle Tartakowsky. Le 16 août, l’assaut est donné contre la Banque ouvrière et paysanne, née en 1926 d’une transformation de la Caisse d’économie du journal. Le plan était en réalité élaboré dès janvier : les services de la préfecture travaillaient depuis des mois sur une saisie-arrêt de 6 millions de francs due au Trésor public par l’Humanité.
Ne pouvant se résoudre à la disparition du « journal de Jaurès et de Lénine » – selon les termes de l’époque –, son directeur Marcel Cachin lance alors les comités de défense de l’Humanité. Plus de 150 CDH, principalement en région parisienne, récolteront les fonds nécessaires à la sauvegarde de l’organe central du PC. Ayant trouvé un moyen de pérenniser l’Humanité, les dirigeants communistes décident, lors d’une conférence organisée à Belleville le 27 juillet 1930, de coordonner les CDH. Et annoncent la tenue le 7 septembre d’une conférence des comités de défense, et conjointement l’organisation d’une fête champêtre.
« Développer notre presse de classe »
C’est sans Marcel Cachin, indisposé, qui devait introduire les débats, que les 300 délégués des CDH se retrouvent dès 9 heures du matin. « Que vos comités de défense prennent toutes les initiatives, qu’ils soient des organisations vivantes qui viendront renforcer notre mouvement révolutionnaire, développer notre presse de classe », lance Pierre Semard, l’ex-secrétaire général du PC. « Les délégués de la Plaine-Saint-Denis, des cheminots de Levallois viennent rappeler l’effort financier de leurs comités locaux. Il est, pour les camarades présents, un remarquable exemple », peut-on lire dans le compte rendu de l’Humanité du 8 septembre 1930.
En fin de matinée, à l’issue de leur conférence, un apéritif concert salue l’arrivée des délégués, avant le déjeuner sur l’herbe. Tout au long de ce dimanche, les compétitions, réservées aux adhérents de la Fédération sportive du travail (FST), s’enchaînent. Femmes et hommes s’affrontent dans des tournois respectifs de basket, quand à 15 h 30, se déroule un match exhibition de boxe.
Depuis Bezons, la 16e semaine internationale des jeunes se clôture. Au milieu de l’après-midi, les coureurs à pied achèvent le parcours de 13 kilomètres, soit deux fois le tour de la commune. « Des expositions sont consacrées à la mort de Jaurès, à celle de Lénine, à la mutinerie du Nord de 1916… Les derniers communards sont présents, relate Valère Staraselski dans son ouvrage la Fête de l’Humanité, comme un air de Liberté (le Cherche Midi, 2015). Toute quête ou vente se fait au profit de l’Humanité, à l’exception, solidarité oblige, du Secours ouvrier international, autorisé à vendre des pochettes et des cocardes. »
Dans son discours, écourté par une averse, Maurice Thorez s’interroge. « Qui donc, sinon l’Humanité, vous dirait la vérité sur l’offensive contre les salaires, sur le chômage qui vient, sur la misère qui grandit, sur vos luttes, sur vos grèves ? » Dans l’après-midi, le secrétaire général du PC avait entonné le P’tit Quinquin lors d’une collecte de 210 francs en faveur de mineurs du Nord en grève.
La Fête s’achève à 21 heures, aux sons de l’harmonie de la Bellevilloise et d’un orchestre de jazz, lors d’un grand bal de nuit. Si aucun compte rendu, ni rapport de police, ne précise le nombre de participants, la journée du 7 septembre 1930, à la fois politique, sportive et culturelle, devient la première édition de la Fête de l’Humanité, qui fêtera, en septembre 2025, sa 90e édition.