L’enfant né le 8 janvier 1935 dans une famille modeste devient une star mondiale, sur scène et au cinéma. Phénomène culte de son vivant, l’industrie musicale le transformera en mythe après sa mort, en 1977, à l’âge de 42 ans.
Par Gabriel Segré
sociologue
Elvis Aaron Presley naît le 8 janvier 1935 à Tupelo, une petite ville du sud des États-Unis, dans une famille modeste qui déménage en 1948 à Memphis. En 1954, il enregistre, aux Studios Sun de Sam Phillips, That’s All Right mama et Blue Moon of Kentucky. Ce premier disque, diffusé dans le programme radiophonique de Dewey Phillips, rencontre un immense succès. Concerts puis tournées dans le sud des États-Unis s’enchaînent.
Le « Colonel » Parker devient, en 1955, le manager de Presley, qui signe un contrat chez RCA, la plus grande firme du pays, et y enregistre un premier titre, Heartbreak Hotel, au succès retentissant. Nouveaux concerts, puis premières apparitions télévisées provoquent à la fois l’indignation des téléspectateurs, et des autorités, et la passion d’un public particulièrement enthousiaste.
« Elvis the pelvis »
L’expression « Elvis the pelvis » résume le scandale et la fascination que provoquent et exercent Presley et son jeu de scène. Les premières pratiques de « culte » se développent, avec des rassemblements de fans devant sa maison d’Audubon Drive et de nombreux gestes de la ferveur. Presley multiplie les records (de ventes de disques, d’audience télévisuelle, puis de recettes au box-office). Hollywood se tourne vers le chanteur dont le premier film – Love Me Tender – connaît un immense succès, le premier d’une longue série.
L’Europe est gagnée à son tour par la presleymania. Puis Elvis part effectuer son service militaire en Allemagne, où il rencontre Priscilla Beaulieu, avec laquelle il se mariera et aura une fille, Lisa Marie.
Presley fait un retour triomphal à Memphis en 1960. Il reprend les tournages de films et l’enregistrement de disques, de plus en plus commerciaux. Concurrencé par l’apparition de la pop anglaise, il reste le premier vendeur de disques, l’acteur le mieux payé d’Hollywood et acquiert reconnaissance, distinctions et honorabilité. L’image du jeune rebelle est supplantée par celle du King, érigé en modèle et symbole de l’Amérique triomphante.
Après une période fructueuse, mais considérée comme pauvre artistiquement (tant sur le plan musical que cinématographique), Presley effectue son grand retour sur scène, orchestré par la chaîne NBC. Il donne une série de concerts à Las Vegas. Commence la troisième vague de presleymania, après celle de la fin des années 1950 et celle du retour de l’armée.
Un contexte démographique, économique, technologique, culturel et social a favorisé l’émergence et l’avènement de Presley et du rock dans son ensemble. L’apparition de compagnies de disques indépendantes, qui lancent de nouveaux artistes, d’une multitude de stations de radio locales qui les diffusent, contribue à l’essor d’Elvis et du rock qui vont satisfaire une demande inassouvie dans un contexte d’oligopole (quatre firmes dominent le marché de la musique) et de forte homogénéité des produits culturels. L’essor du 17 centimètres – 45 tours), l’électrification des instruments, le développement des transistors et radiocassettes composent un contexte technique et technologique lui aussi très favorable.
Un pionnier à la carrière posthume exceptionnelle
Au début des années 1970, Presley multiplie les concerts à Vegas, vêtu de ses célèbres costumes de scène (jumpsuits). Sa carrière est à son apogée, mais le chanteur est exténué par ces tournées répétées et voit sa vie familiale se déliter. Son épouse le quitte. Il donne son fameux concert Aloha from Hawaii, retransmis par satellite et vu par plus d’un milliard de personnes à travers le monde, cumule records, récompenses et distinctions, mais aussi dépressions et hospitalisations.
Le 16 août 1977, le chanteur est trouvé effondré dans sa salle de bain. Il décède peu après, à l’âge de 42 ans, à la suite de problèmes respiratoires, selon la police, tandis qu’une partie de la presse conclut à une overdose médicamenteuse.
À l’annonce de la mort de Presley, fans, marchands du temple et journalistes affluent à Graceland. Le lendemain, 75 000 personnes se massent devant les grilles de la propriété. Hommages et discours se succèdent. D’abord enterré au cimetière, Elvis sera finalement inhumé au Meditation Garden, dans le parc de la propriété de Graceland, qui deviendra un lieu de pèlerinage et un important site touristique.
Commence pour Presley une carrière posthume, plus florissante encore. Il vend plus de disques que de son vivant, génère davantage de profits, bat de nouveaux records et devient l’objet d’une multitude de célébrations et de commémorations, dont la fameuse Candlelight, qui rassemble chaque année en août des dizaines de milliers de fans, au cours de l’Elvis International Tribute Week. La société se lance dans une véritable entreprise d’immortalisation de Presley et de ses exploits, d’élaboration et de diffusion du mythe, de célébration de sa mémoire, à travers un déluge de productions culturelles…
Pour certains, Elvis est le nom, honni, de l’impérialisme culturel américain, du kitch et du mauvais goût populaire, de la spoliation des Noirs et de leur musique, d’une Amérique patriarcale, oppressive et archaïque, ou encore le portrait (boulimique, dépressif, dépravé) d’une société damnée, décadente, porteuse des fléaux du monde occidental contemporain (surconsommation, excès, addiction).
Pour d’autres, Elvis est le nom, vénéré, du rêve américain, du rock’n’roll, de la rébellion juvénile, du self-made-man, ou encore de l’union entre les peuples et les cultures, version archétypale de la rock star, artiste maudit, Christ moderne et profane sacrifié sur l’autel d’une œuvre libératrice et salutaire.
