Des bars de Port-au-Prince aux villages haïtiens les plus reculés en passant par la diaspora du monde entier, on écoute et on danse le compas. Cette musique populaire, qui devrait être inscrite mercredi au patrimoine immatériel de l'Unesco, fait la fierté de ce petit pays des Caraïbes.
"Aujourd'hui, le compas est la principale représentation artistique (et) musicale pour Haïti à l'étranger", résume Frantz Duval, directeur général de Ticket, le principal magazine culturel du pays, selon qui il a influencé jusqu'à la star franco-malienne Aya Nakamura.
A la fois genre musical et technique de danse, le compas - ou konpa, en créole - "se caractérise généralement par son utilisation de percussions, de guitares, d'instruments à clavier". Le "rythme est essentiellement conduit par une batterie syncopée", relève le dossier de candidature présenté à l'Unesco, qui doit le reconnaître mercredi comme appartenant au patrimoine culturel immatériel de l'humanité.
En Haïti, on écoute cette musique dans les restaurants dansants, les transports en commun, sur les places publiques et à la radio, tous les jours et à toute heure. Difficile pour un Haïtien de résister au rythme du compas, de ne pas hocher la tête ou danser quelques pas en écoutant une chanson.
Le compas "est la mémoire collective de la nation", insiste Emmelie Prophète, ancienne ministre de la Culture d’Haïti qui a travaillé sur le dossier de candidature auprès de l'Unesco.
"Nous sommes ravis de cette inscription sur la liste", dit-elle à l'AFP. "Cette reconnaissance arrive à un moment où on a besoin de parler d'Haïti autrement que de ses problèmes politiques et sécuritaires."
Une danse sensuelle
Par contraste avec la violence des gangs, qui contrôlent une grande partie de la capitale et l'instabilité politique chronique du pays le plus pauvre des Amériques, le compas est un motif de fierté, comme peut-être la récente qualification du pays pour la Coupe du monde de football 2026.
Son acte de naissance remonte à un concert donné en juillet 1955 à Port-au-Prince par Nemours Jean Baptiste, saxophoniste haïtien renommé. Avec des origines venues d'Afrique et de France, l'ancienne puissance coloniale, le compas s'inspire aussi "des chansons cubaines et dominicaines que les Haïtiens écoutaient sur des stations à ondes courtes émettant depuis l'île de Cuba et la République dominicaine voisine", raconte à l'AFP le musicien Yves Joseph, dit Fanfan Tibòt.
Son groupe, Tabou Combo, est célèbre pour avoir exporté le compas loin de Port-au-Prince. Il se souvient du titre "New York City", sorti en 1975 et qui avait "eu du succès dans les Antilles et en France."
Un musicien de compas dans un hôtel de Port-au-Prince, capitale d'Haïti, le 7 décembre 2025
"Cela nous a porté à changer de stratégie, à chanter en anglais et en espagnol afin de conquérir plus de fans. Depuis, d'autres groupes musicaux ont aidé le compas à continuer de franchir les frontières," se félicite-t-il.
"Ce rythme représente très bien Haïti à l'international et j'espère que ça va perdurer", confirme Frantz Duval, également rédacteur en chef du quotidien Haïtien Le Nouvelliste.
Sur le réseau social TikTok, les vidéos estampillées #kompa (de nombreuses orthographes différentes sont utilisées) se comptent par centaines de milliers, souvent des couples aux mouvements sensuels.
"La danse du konpa, une marche rythmée, est marquée par des mouvements de bassin, des pas alternés et une connexion physique entre les danseurs", relève le document de candidature du gouvernement haïtien.
Le compas "résiste aux crises parce que tout le monde l'écoute et le danse même en temps de crise", reprend Frantz Duval. "Si on ne peut pas danser ou organiser de spectacle à Port-au-Prince, on le fait en région. Sinon, on le fait dans les communautés haïtiennes à l'étranger."