Atteint d’une leucémie, un chef d’orchestre découvre son adoption et l’existence d’un frère. Une très belle composition, entre humour et drame, d’Emmanuel Courcol
Devenu cinéaste sur le tard, Emmanuel Courcol a débuté comme comédien avant de s’essayer au scénario. Il avait déjà 54 ans lorsqu’il a réalisé son premier court métrage, Géraldine, je t’aime, et 59 ans lors de la sortie de son premier long métrage, Cessez le feu en 2017.
Sa solide expérience de scénariste, forgée auprès de Philippe Lioret avec lequel il a collaboré sur quatre films dont Welcome (2009), ou d’Édouard Bergeon (Au nom de la terre, 2019), l’a transformé en réalisateur soucieux d’une écriture précise et des problématiques sociales. Ses œuvres projettent souvent un individu dans un univers inconnu. Un procédé narratif efficace permettant au spectateur de découvrir ce nouveau monde en même temps que le protagoniste et de battre en brèche nombre de présupposés et de clichés. Véritable auteur populaire, il assume pleinement de viser un large public sans jamais céder à la facilité.
Le déterminisme social a scellé leur parcours
Déjà, un Triomphe (2020), où il offrait un très beau rôle à Kad Merad, explorait avec brio la collision inattendue entre un comédien, venu à reculons animer un atelier de théâtre en prison, des détenus et En Attendant Godot, de Samuel Beckett. Un cocktail explosif et une libération par l’art.
En fanfare rassemble aussi d’apparents contraires en explorant les liens du sang. Thibaut Desormeaux (Benjamin Lavernhe), un chef d’orchestre de renommée internationale, s’écroule pendant une répétition. Une visite médicale diagnostique une leucémie nécessitant une greffe, donc un donneur. Pour le commun des mortels, les chances d’en trouver un compatible sont rares : une sur un million. Grâce à sa sœur Rose, la probabilité monte en flèche, ADN commun oblige. Un espoir rapidement étouffé puisque les analyses sont formelles, Thibaut et Rose n’ont en réalité pas les mêmes parents biologiques. Néanmoins, tout n’est pas perdu puisqu’il se découvre un frère.
Jimmy Lecocq (Pierre Lottin) a grandi dans le Nord. Agent de cantine aux revenus modestes, il observe d’un œil méfiant l’inconnu bien mis qui vient lui demander sa moelle. Il pressent surtout, tels les Groseille et les Le Quesnoy dans la Vie est un long fleuve tranquille (1988), la manière dont le déterminisme social a scellé leur parcours. Alors qu’elle avait la possibilité de réunir la fratrie, la mère adoptive de Thibaut n’avait pas souhaité récupérer Jimmy. Mais gênes communs et bon sang ne sauraient mentir. Jimmy est un musicien amateur doué. Trombone dans une fanfare ouvrière, il possède l’oreille absolue.
Un feel good movie sur fond de questions de classe
Dans ce feel good movie enthousiasmant d’où affleure avec finesse et tendresse la question de classe, Emmanuel Courcol balance entre humour et tragique. S’y nouent d’improbables rencontres. Celle de deux frères issus de milieux dissemblables mais surtout celle de la grande musique, savante et précise, et d’une fanfare, dissonante et harmonieuse. Mais le cinéaste, et c’est l’une de ses plus grandes réussites, traite tous ses personnages et l’ensemble des genres musicaux avec un profond respect.
Classique, jazz, chorale, disco, rap, chanson française et fanfare ont tous droit de cité. Courcol joue sa partition à merveille. Tout en empathie pour ses personnages, il évite l’écueil du bourgeois venant sauver le prolétaire en galère avec une bienveillance dégoulinante. Car si le récit comprend tous les atours du drame social avec une usine occupée, des familles monoparentales et d’autres obstacles surmontés avec aplomb par les protagonistes, le réalisateur effectue toujours un judicieux pas de côté. Il semble aussi à l’aise avec les drapeaux de la CGT qu’à la Seine musicale, une prestigieuse salle de concert du très bourgeois Ouest parisien. Ici, les prolos ont droit à la beauté. Mieux, ils ne se contentent pas de l’apprécier, ils la créent également.
Avec sa manière de confronter le comique à l’altérité, Emmanuel Courcol rappelle les comédies engagées britanniques des années 1990. On pense à The Full Monty (1997) pour la dimension combattante des héros, même s’il n’est pas ici question d’effeuillage, et plus encore aux Virtuoses (1997), avec la perspective d’un concours de fanfares. Ce long métrage possède un souffle indéniable. Ce bouillon de culture musicale aiguise l’appétit et chatouille l’oreille à coups de Beethoven, Mendelssohn, Aznavour, Dalida, Benny Golson, Lee Morgan, Offenbach et Verdi. Excusez du peu ! Sans fausse note, il rend aussi un hommage sincère au Nord ouvrier et à ses habitants, à leur humanité et à leur solidarité.
En fanfare, d’Emmanuel Courcol, France, 1 h 43