En 2006, elle débarque à Paris avec 200 euros en poche. Depuis 2011, le succès ne la quitte plus. Active sur les réseaux sociaux durant le confinement, la chanteuse brésilienne résiste en chantant. Rencontre avec la radieuse étoile carioca.
Quand Flavia Coelho a vu le jour à Rio de Janeiro, sévissait encore la junte qui, quelques années plus tard, en 1985, allait perdre le pouvoir. Un père noir, une mère blanche, pas facile quand les fachos ont les coudées franches… Le père était obligé de cumuler un boulot de docker et un emploi dans la sécurité pour joindre les deux bouts. La mère, coiffeuse-maquilleuse, meurt emportée par la maladie lorsque sa fille avait à peine 11 ans. L’immense béance de l’absence, Flavia l’a soignée grâce à la musique. Elle effeuillait ses quatorze printemps quand elle s’est vraiment mise au chant. L’année suivante, elle entamait une tournée au sein d’un groupe de samba traditionnelle. S’ensuit un parcours exemplaire. Mais, horreur, à l’orée de 2019, ressurgit l’hydre de la dictature...
En ce mois de mai 2020, la chanteuse, auteure, compositrice met en ligne une superbe vidéo de sa chanson Cidade Perdida (« ville perdue ») qui dépasse les 40 000 vues sur YouTube en dix jours. Rencontre avec la mutine étoile carioca.
Comment vous est venue la chanson Cidade Perdida ?
Flavia Coelho L’événement qui m’a incitée à l’écrire a été l’élection de Jair Bolsonaro, un militaire d’extrême droite… On sent soudain les relents âcres d’une tragédie que l’on espérait révolue. J’ai vécu vingt-six ans dans mon pays avant de m’établir en France. Les souvenirs remontent. Les cours de morale, la description du peuple brésilien qui nous était enseignée en nous le présentant selon la couleur de l’épiderme, du plus noir au plus clair, la sensation d’exclusion qui s’insinuait en nous, étiquetés comme non blancs, la stigmatisation sociale… Aujourd’hui, au cœur de la douleur, se dresse le souvenir bel et bien vivant des héroïnes et des héros que la répression, la torture ont tenté, en vain, de faire taire et d’effacer de notre mémoire.
Avec l’élection de ce président, tout ça réapparaît brutalement. À travers cette chanson, j’exprime ma souffrance et ma révolte devant cette « cité perdue », rongée par la corruption et meurtrie par une violence que j’avais découverte avec effroi alors que je n’étais qu’une enfant. À présent, ce président est suspecté d’entretenir des liens avec des milices politiques, une puissante milice digitale existerait, contre celles et ceux qui luttent via les réseaux sociaux. Il est rattrapé par une vidéo accablante, qui circule sur Internet. Son populisme trivial éclate au grand jour.
Avez-vous été nourrie par les architectes du tropicalisme qu’ont été entre autres Caetano Veloso, Maria Bethânia, Gilberto Gil et Gal Costa ?
Flavia Coelho Oh oui ! Ces figures du mouvement tropicaliste ont riposté au coup d’État de 1964 avec une force de courage et de créativité qui, plus que jamais, nous sert de leçon. Je me considère comme leur enfant. J’ai une admiration spéciale pour Gilberto Gil. Au-delà de son cran exceptionnel face à la répression, il a été un pionnier en abolissant les frontières, en mêlant intimement des composantes du Brésil, d’Afrique, du rock, du reggae…
Votre mère a joué un rôle décisif dans votre orientation professionnelle, non ?
Flavia Coelho Oui. Grâce à elle, j’ai été tôt entourée de ces voix essentielles. Le Brésil est un pays de chanteuses. Dès ma tendre jeunesse, j’ai eu la chance de les écouter à la radio. J’ai pu m’identifier à elles, avoir confiance dans mon désir de me consacrer à la musique. Mes parents s’étant séparés quand j’avais 2 ans, je suis restée vivre avec ma mère. Maquilleuse et coiffeuse, elle travaillait en cabaret, où je l’accompagnais souvent. De bonne heure, j’ai éprouvé une forme de réconfort et de joie à l’écoute de la musique. C’est en me rappelant ces sentiments d’exaltation procurés par la musique que j’ai décidé, avec mon producteur et musicien Victor Vagh-Weinmann, de chanter en live sur Facebook et ma chaîne YouTube. Je souhaitais apporter un peu de lumière aux gens confinés, en particulier aux plus démunis, car cette crise a aggravé les inégalités de façon vertigineuse. J’ai également à cœur de célébrer les trop nombreux artistes que le Covid-19 nous a cruellement arrachés.