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Don Quichotte, un fou sublime à l’Opéra Bastille

À l’Opéra Bastille, l’œuvre de Jules Massenet rend raison de sa folie dans une mise en scène entre fantasmes et réalité.

Don Quichotte est seul dans un salon sobrement meublé mais élégant. Assis sur un fauteuil, il froisse des feuilles de papier, gribouille de nouveau fébrilement. On devine sans trop de peine qu’il tente d’écrire à la Dulcinée de ses rêves, peut-être même de lui écrire un poème… Et puis, on voit sortir du canapé, vide jusqu’alors, un personnage ricanant, puis un autre d’un placard, de la bibliothèque, encore un ou plutôt une d’on ne sait trop où.

Ils forment autour du héros une sorte de ronde moqueuse, presque agressive, en tout cas humiliante. Voici donc installée l’ambiguïté de la mise en scène intelligente du Vénitien Damiano Michieletto, dont on avait déjà vu à Paris Samson et Dalila, Don Pasquale et un excellent Barbier de Séville. Don Quichotte est-il totalement dans sa folie, ou bien son aventure a-t-elle une part de réalité ? Ce choix amène à de magnifiques mouvements de foules moqueuses, à des entrées 

L’opéra de Massenet, plus moderne que jamais

L’opéra de Jules Massenet (1842-1912) est son dernier, créé en 1910, point d’orgue d’une vie de succès avec de nombreuses compositions et plus d’une vingtaine d’opéras, dont Manon, Werther, Hérodiade, le Cid… Professeur au conservatoire de nombreux futurs compositeurs, élu à l’académie des Beaux-arts à 36 ans, il prend une stature officielle qui ne saurait masquer son génie créateur s’exprimant ici aussi bien par les emportements orchestraux des moments de folie que par les sombres déplorations du désespoir.

Le chef Patrick Fournillier, actuellement directeur musical de l’Opéra national de Pologne, est à la hauteur. Christian Van Horn (basse, Don Quichotte), Gaëlle Arquez (mezzo-soprano, Dulcinée) et Étienne Dupuis (baryton, Sancho), excellents, ont été, comme le chef, justement ovationnés par le public lors de la première.

Les aventures du chevalier fantasque et illuminé, prêt à voler au secours de qui n’en a pas besoin pour mériter l’amour de la brave paysanne qu’il invente en princesse, promettant à son écuyer Sancho monts et merveilles, appartiennent désormais à l’imaginaire collectif. Cervantès avait eu lui-même, avant de se consacrer à l’écriture, une vie chargée. Blessé à la bataille de Lépante à l’âge de 24 ans, prisonnier pendant cinq ans de pirates de la Méditerranée, il semble à son retour en Espagne regretter des temps d’héroïsme et d’honneur oubliés par l’aristocratie et dont son héros va être le porteur jusqu’à l’absurde.

Massenet et son librettiste, Henri Cain, ne se sont pas inspirés toutefois de l’œuvre originale mais d’une pièce de théâtre d’un de leurs contemporains, Jacques Le Lorrain, avec un changement majeur. Dulcinée, dont Don Quichotte pense avoir obtenu l’amour en récupérant un collier qui lui avait été volé, n’est pas une brave paysanne mais une mondaine, libre de ses amours, qui va lui rire au nez avant de le voir comme un fou, invivable donc, mais, dit-elle, « un fou sublime », qui va mourir de désespoir. Dans Rêver debout, Lydie Salvayre, citée dans le livre programme, écrivait : « Les plus belles découvertes sont nées de ces explorations de l’impossible auxquelles se sont livrés quelques donquichottesques esprits… »

Les 14, 17, 21, 23, 26, 29 mai et les 1er, 5, 8 et 11 juin à l’Opéra Bastille. Gabor Bretz en alternance dans le rôle-titre.

Source l'Humanité

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